Aménagement du territoire et digitalisation: à nous de nous en saisir!

La digitalisation bat son plein. Et depuis un certain temps déjà. Elle a sensiblement transformé notre quotidien: une appli vous permet de louer un vélo électrique en un clin d’œil, réserver un appartement à Venise pour quelques jours se fait en quelques clics, et commander un article dans une boutique en ligne ne prend pas plus de temps. Or, ce qui paraît anodin au niveau individuel a des incidences spatiales concrètes: de plus en plus de logements sont utilisés à des fins touristiques, l’espace public est souvent encombré par les scooters électriques et – en parlant d’achats en ligne – de plus en plus de véhicules de livraison sillonnent nos rues.

Les aménagistes s’intéressent surtout à l’espace physique; ils semblent considérer que l’espace virtuel est plutôt l’affaire des spécialistes de la Silicon Valley ou des services de géoinformation. Le concept de «smart city» tend certes à se répandre, mais ce qu’il recouvre reste assez vague. Et pour les communes de petite et moyenne taille, les dossiers d’aménagement à gérer au quotidien prennent souvent le pas sur les objectifs de numérisation.

Smart Geneva

À quoi pourrait-elle donc ressembler, la digitalisation au service de la société? Au niveau régional, une démarche intéressante a été développée à Genève: la plateforme Smart Geneva soutient les idées innovantes et met en réseau les acteurs de l’économie, des sciences et de l’administration. Lors du congrès d’EspaceSuisse, le chef de projet Patrick Montier a précisé que seules étaient encouragées les idées conformes aux principes du développement durable et servant la collectivité. Parmi les projets en cours figurent notamment une plateforme SIG pour l’économie circulaire et le projet GeniLac, qui utilisera l’eau du lac pour rafraîchir et chauffer les bâtiments.

Pas de numérisation sans données...

Pour apporter des solutions intelligentes aux problèmes actuels, il faut comprendre ce qui se passe sur le territoire – ce qui nécessite des données. Il est donc légitime de se demander à quelles fins des données sont collectées. Dans son exposé, Dirk Engelke, professeur à la Haute école spécialisée de Suisse orientale, a évoqué les enjeux éthiques y relatifs. La ville allemande d’Ulm a par exemple élaboré un concept d’éthique des données destiné à assurer la transparence et le contrôle démocratique. Une digitalisation durable ne saurait en effet ignorer la dimension sociale de la problématique.

... et pas de données sans électricité

On sait que les données requièrent de l’énergie. La consommation d’électricité représente d’ailleurs la face sombre de la numérisation. Ainsi une étude commandée par l’Office fédéral de l’énergie (OFEN) a-t-elle montré qu’en Suisse, en 2019, les centres de calcul et salles de serveurs ont consommé quelque 2,1 térawattheures, soit 3,6 pour cent de la consommation électrique totale du pays. Ce chiffre ne semblera peut-être pas particulièrement élevé, mais il faut savoir qu’il existe dans ce domaine un potentiel d’économie d’environ 46 pour cent.

Mobilité

Dans le domaine de la mobilité aussi, il s’agit de réfléchir à la manière dont nous utilisons nos ressources. Les transports ont en outre un impact considérable sur le territoire. L’évolution technologique modifie déjà la mobilité au quotidien et continuera de le faire. Mais la technologie ne résout pas tous les problèmes. Une voiture électrique autonome n’occupe par exemple pas moins de place qu’un véhicule conventionnel. Par ailleurs, il existe déjà des alternatives pour les trajets courts. Cet exemple met en évidence la nécessité d’un débat public et montre que le numérique seul ne suffit pas. Sans compter que l’apparition des véhicules autonomes risque de faire augmenter le trafic sur les routes au lieu de le réduire.

La digitalisation: une opportunité – mais qui est compétent?

Le congrès d’EspaceSuisse a bien montré que la numérisation ne saurait être une fin en soi. Une digitalisation durable au service du développement territorial offre l’occasion de relever les défis actuels. Elle peut notamment nous aider à gérer le changement climatique, à améliorer nos bases de décision, à rendre les processus plus efficients et à garantir davantage de transparence et de participation. Les trois échelons institutionnels sont ici concernés, mais la question de la répartition optimale des compétences reste pour l’instant ouverte. Il convient bien sûr aussi de tenir compte de l’évolution européenne et mondiale car, comme on le sait, Internet ne s’arrête pas aux frontières nationales.

Conclusion

La numérisation continuera d’avoir des impacts sur le territoire à l’avenir. Il serait profitable pour l’aménagement du territoire, que les aménagistes suivent son évolution et agissent à temps. Cela présuppose qu’ils s’intéressent à la thématique. À l’heure actuelle, l’intelligence artificielle atteint encore et toujours ses limites pour les tâches complexes. L’ordinateur n’en est donc pas (encore) à supplanter les aménagistes dans le domaine de la réflexion et du travail intellectuel. En tant que professionnels, nous sommes appelés à nous impliquer dans le débat sans attendre les prochaines innovations et modèles d’affaires des entreprises technologiques. En même temps, il est clair qu’il ne s’agit pas simplement ici d’enjeux purement techniques, mais de processus de négociation politico-sociaux complexes. Alors: qui sinon nous? Et quand sinon maintenant?