Infrastructure écologique et aménagement du territoire

Lena Gubler, bureau du Groupe spécialisé Infrastructure écologique
Mardi, 31.05.2022
L’Infrastructure écologique suisse vise à garantir la préservation de la biodiversité dans le pays. De grands mots... pour un grand projet: il s’agit en effet de mettre sur pied, jusqu’en 2040, un réseau national d’aires centrales et d’aires de mise en réseau suffisamment étendues pour assurer la survie des espèces.
Les terres agricoles dont les structures sont très diversifiées assurent la perméabilité du territoire. (Photo: Bureau du GSIE)

Au temps d’Alfred Escher, de grands réseaux d’infrastructures ont commencé à se déployer dans le pays, notamment le dense réseau de drainage agricole destiné à rendre les terres propres à la culture, ou les Chemins de fer du Nord-Est, qui allaient ouvrir la voie à l’actuel réseau CFF. Un siècle plus tard, en 1960, le Conseil fédéral a décidé la construction du réseau des routes nationales, qui est aujourd’hui – à quelques kilomètres près – achevé. Un autre demi-siècle plus tard, en 2012, le même Conseil fédéral a décidé la réalisation d’une nouvelle infrastructure nationale: l’Infrastructure écologique, dont la vocation est d’assurer la conservation de la biodiversité.

Un réseau précieux pour la faune et pour l’homme

L’Infrastructure écologique est un réseau de vastes aires centrales répondant aux besoins des espèces qui y vivent. Ces aires doivent être reliées les unes aux autres, de manière à ce que les espèces concernées puissent y accéder. Il faut donc à la fois de grandes surfaces d’un seul tenant, de nombreuses surfaces plus petites fonctionnant comme des relais, et des corridors exploités de façon extensive, permettant aux animaux de traverser le territoire. Lorsque des constructions entravent le passage, il s’agit de prévoir des dispositifs permettant aux animaux de franchir ces obstacles (passages à faune, couvertures, etc.). Composée de milieux naturels très divers, l’Infrastructure écologique traverse les agglomérations, longe les cours d’eau et s’étend à travers forêts, champs, pâturages et prairies, et ce, jusque dans l’espace alpin.

En plus de préserver la biodiversité, le réseau rend des services concrets à l’homme. Dans les villes, il contribue à atténuer les grandes chaleurs, offre des surfaces d’infiltration qui délestent le réseau des égouts en cas de fortes précipitations, et fournit des espaces de détente. En forêt et sur les terres agricoles utiles, il améliore la résilience des sols en matière de fertilité, régule le régime des eaux souterraines, atténue les pics de crue, renforce la fonction de filtration des eaux et favorise le développement des organismes auxiliaires.

Des surfaces encore insuffisantes

De même qu’il existait déjà des routes dans les années 1950, avant la construction des routes nationales et la planification sectorielle en matière de transports, de même disposons-nous déjà de certains éléments de l’Infrastructure écologique: il s’agit des aires centrales que sont les surfaces recensées dans les inventaires des biotopes d’importance nationale, cantonale et locale, les réserves forestières et le Parc national suisse, ainsi que des liaisons paysagères encore «perméables» et des corridors à faune nationaux reconstitués. S’y ajoutent les surfaces qui restent d’une grande valeur écologique, mais dont la sauvegarde n’est encore assurée par aucun instrument contraignant – ce à quoi il convient de remédier le plus rapidement possible, dans l’idéal au moyen d’un nouvel inventaire national. Les études scientifiques font cependant état de besoins qui dépassent largement les surfaces présentant encore une qualité relativement élevée: il faudrait au minimum 30 pour cent de la superficie du pays pour assurer la préservation de la biodiversité à long terme (Forum Biodiversité Suisse 2013). Les besoins en surfaces complémentaires sont donc considérables. Pour y répondre, il faudra non seulement la clairvoyance et la force de persuasion d’un Alfred Escher, mais aussi des efforts de planification et de collaboration comparables à ceux que requérait à l’époque la réalisation du réseau des routes nationales. Afin de garantir cette collaboration et de définir les aires centrales à réserver par les différents cantons, le Groupe spécialisé Infrastructure écologique propose d’établir une conception nationale au sens de l’article 13 de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire (LAT).

Le rôle de l’aménagement du territoire

Si l’on veut que l’idée d’Infrastructure écologique se concrétise, il faut que tous les acteurs concernés se mobilisent. Les terres cultivables et l’agriculture ne sont pas seules en jeu. Les forestiers, les exploitants de gravières, les spécialistes des eaux et les particuliers ont aussi un rôle important à jouer, de même que les professionnels de l’aménagement du territoire, les développeurs immobiliers et les architectes-paysagistes. Dans les agglomérations, préservation de la biodiversité, adaptation au changement climatique et amélioration de la qualité de vie de la population sont étroitement liées. Certaines communes participent d’ores et déjà au développement de l’Infrastructure écologique en édictant les dispositions nécessaires dans les plans d’affectation, en remettant les cours d’eau à ciel ouvert, en rendant les surfaces asphaltées à nouveau perméables, en aménageant des espaces verts proches de l’état naturel, en mettant en valeur les limites du milieu bâti ou en accordant des allégements fiscaux pour les surfaces d’infiltration privées. L’objectif est d’offrir, malgré une densification croissante, un espace suffisant aux espèces vivant en milieu urbanisé, tout en atténuant les pics de chaleur, en réduisant les risques d’inondations et en délestant les réseaux d’égouts.

À l’heure actuelle, les cantons se consacrent à la planification technique de l’Infrastructure écologique. Afin d’assurer la mise en place et l’exploitation de ce réseau de grande envergure, le Conseil fédéral entend prescrire, dans le cadre de la prochaine révision de la loi sur la protection de la nature et du paysage, le recours aux instruments de planification prévus par la LAT.

Si tout le monde tire à la même corde, il sera possible d’offrir l’espace nécessaire à la biodiversité, tout en améliorant la qualité de notre propre cadre de vie. Je suis persuadée que Monsieur Escher participerait à l’entreprise!

Référence bibliographique

Forum Biodiversité Suisse, Rapport de projet (en allemand seulement): Flächenbedarf für die Erhaltung der Biodiversität und der Ökosystemleistungen in der Schweiz, éd.: Forum Biodiversité Suisse, Académie des sciences naturelles (SCNAT), Berne 2013.

Créé en 2018, le Groupe spécialisé Infrastructure écologique (GSIE) a pour mission de développer un concept pour l’Infrastructure écologique de la Suisse. Il est rattaché au Comité suisse de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

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