Beaucoup d'efforts pour un résultat décevant

Samuel Kissling, responsable droit EspaceSuisse, et Damian Jerjen, directeur EspaceSuisse
Mercredi, 08.11.2023
Le résultat de la révision partielle de la loi sur l'aménagement du territoire (LAT 2), décidée lors de la session d'automne, est décevant. Même si un objectif de stabilisation des constructions hors de la zone à bâtir a été adopté, le législateur augmente les possibilités d’utilisation des constructions existantes et prévoit des exceptions supplémentaires. Cela met sérieusement en péril le principe constitutionnel de séparation. Des dispositions d'exécution claires et strictes et des aides à la mise en œuvre sont d’autant plus importantes. Une évaluation de la LAT 2 par EspaceSuisse.
Photo: Xavier von Erlach, Unsplash

Le deuxième volet de révision de la loi sur l'aménagement du territoire (LAT 2) a une longue histoire (voir encadré ci-dessous). La dernière mouture du projet de loi, – qui doit être considéré comme un contre-projet indirect à l'initiative pour le paysage –, a fait l'objet d’intenses discussions entre le Conseil national et le Conseil des États, jusqu’à nécessiter un processus d’élimination des divergences entre les deux Chambres. Malgré cela, la modification a été adoptée à l'unanimité lors du vote final du 29 septembre 2023. Pourtant, elle ne convainc pas.

Révision de la LAT

La révision de la loi sur l'aménagement du territoire s’est faite par étapes: une première grande révision partielle portait sur les zones à bâtir (LAT 1) et est entrée en vigueur le 1er mai 2014. La deuxième étape porte sur les constructions hors zone à bâtir. De premières consultations ont déjà eu lieux en 2015 et 2017. En 2019, le Conseil national, en tant que première chambre, n'est pas entré en matière sur les propositions du Conseil fédéral. La Commission de l'environnement, de l'aménagement du territoire et de l'énergie du Conseil des États (CEATE-E) a alors décidé de remanier le projet du Conseil fédéral dans le cadre d'une initiative parlementaire et de le mettre en consultation. Elle a ainsi relancé le débat.

La chronologie complète avec les documents relatifs à la LAT 2 peut être consultée sur parlament.ch > Recherche de l'objet 18.077.

Objectif de stabilisation criblé d’exceptions

L'objectif de stabilisation est considéré comme l’élément essentiel de la LAT 2: le Parlement reconnaît ainsi l'objectif de stabiliser le nombre de bâtiments et l’imperméabilisation des surfaces en dehors des zones à bâtir. Cela signifie que tous les bâtiments non protégés dans les zones non constructibles sont soumis à l'objectif de stabilisation. En ce qui concerne les surfaces et leur imperméabilisation, le catalogue des exceptions est toutefois extrêmement étendu (voir également l'encadré «Exceptions à l'objectif de stabilisation» à la fin). Sont en effet exclues du principe de stabilisation les surfaces qui

  • se trouvent dans la zone agricole qui n'est pas exploitée toute l'année (régions d'estivage);
  • sont liées à l'agriculture;
  • sont nécessaires à la pratique d'activités touristiques;
  • sont liées à des installations énergétiques;
  • sont nécessaires pour des installations de transport cantonales ou nationales.

Avec toutes ces exceptions, le Parlement relativise considérablement l'intention de stabiliser non seulement les bâtiments, mais aussi les surfaces imperméabilisées. A cela s'ajoute le fait que le porte-parole de la commission, Jakob Stark (UDC TG), a explicitement indiqué lors des débats au Conseil des Etats que l'objectif de stabilisation des bâtiments autorisait une certaine dynamique: d’après les débats et le vote final, une croissance «moyenne» de deux pour cent doit ainsi être considérée comme une stabilisation. On peut supposer que la commission n'entendait pas par là une croissance annuelle. En effet, cela représenterait environ 12’000 bâtiments supplémentaires pour un total actuel de 618’000 bâtiments situés hors de la zone à bâtir. Ce chiffre devrait plutôt être compris comme une limite supérieure de la croissance encore autorisée à l'avenir.

Les cantons sont appelés à agir

Sur le principe, le fait que l'objectif de stabilisation doive être atteint à l'aide d'un concept global via les plans directeurs cantonaux est une bonne chose. Pour ce faire, les cantons doivent adapter leurs plans directeurs dans les cinq ans suivant l’entrée en vigueur des dispositions fédérales. Passé ce délai, ils s'exposent à des sanctions: tout bâtiment supplémentaire situé en dehors des zones à bâtir devra alors être compensé.

Les cantons doivent en outre rendre compte régulièrement à la Confédération et procéder aux adaptations nécessaires. On peut toutefois douter que les mesures de contrôle et de rapport prévues ainsi que les sanctions suffisent à atteindre l’objectif de stabilisation. La tâche confiée aux cantons de présenter un concept global est très exigeante – d'une part en raison du flou qui règne quant à sa concrétisation, d'autre part en raison des ressources humaines et financières supplémentaires qu’elle nécessitera.

Par ailleurs, pour qu’une stabilisation soit réellement envisageable et compte tenu des nombreuses possibilités de changement d'affectation (nouvelles et anciennes), les cantons devront probablement restreindre certaines dispositions fédérales (existantes) relatives à la construction hors zone à bâtir. L'article 27a LAT leur en donne la possibilité, mais il est peu probable que cela soit politiquement réalisable.

L’outil de la prime de démolition

Si l’objectif est vraiment de stabiliser le nombre de bâtiments hors zone à bâtir, il est indispensable de démolir les constructions et installations inutilisées. Le projet de loi prévoit bien une prime pour financer la démolition. Mais si seuls les frais de démolition sont remboursés, l'incitation est faible. Ce d’autant plus que les possibilités de réaffectation des bâtiments existants hors zones à bâtir ont été élargies avec la LAT 2. Enfin, il est tout à fait incompréhensible à la lumière de l’objectif de stabilisation que cette prime finance également la démolition de bâtiments à usage agricole ou touristique, même lorsqu’une construction de remplacement est ensuite érigée.

La LAT 2 affaiblit le principe de séparation

Les parlementaires n'ont cessé de souligner qu'un objectif important de la révision partielle de la LAT 2 était de renforcer le principe constitutionnel de séparation. Or, les plus grands doutes subsistent quant à la possibilité d'atteindre cet objectif. Les modifications suivantes en sont la preuve:

  • A l'avenir, les établissements d'hôtellerie et de restauration situés hors de la zone à bâtir et régis par l'ancien droit pourront être démolis, reconstruits et agrandis.
  • Pour la construction d'installations de biogaz, la limite nécessitant de passer par une planification a été repoussée, ce qui devrait permettre à l'avenir d'autoriser de plus grandes installations dans des zones non constructibles.
  • Dans les «autres zones d'affectation hors de la zone à bâtir» (en plus «des constructions ou des installations destinées à des utilisations imposées par leur destination»), «d’autres constructions ou installations ayant un lien fonctionnel avec l’utilisation principale peuvent être admises».

Le Conseil fédéral est appelé à fixer des limites strictes par le biais de l'ordonnance, par exemple en ce qui concerne les extensions d'établissements de restauration et d'hébergement régis par l'ancien droit ou les installations de biogaz, qui doivent continuer à être subordonnées à l'exploitation agricole.

En outre, après 30 ans, il n’est plus possible de demander la démolition des constructions illégales ou l’interdiction d’une utilisation non autorisée. Le Parlement a ainsi mis en œuvre une motion correspondante de la CEATE-N (21.4334). Afin d’aller dans le sens d’une stabilisation des constructions et des surfaces imperméabilisées hors zone à bâtir, il faudra outre un meilleur contrôle des constructions illégales et des utilisations non autorisées, une volonté politique d'intervenir.

Avec l'objectif de stabilisation ancré dans la loi, la révision suscite des attentes très élevées. Les nombreuses exceptions vident l'objectif de son contenu. Il n'y aura pratiquement plus de surfaces à compenser. Il y a fort à parier que la loi adoptée ne suffira à stabiliser le parc immobilier et les surfaces imperméabilisées dans les zones non constructibles.

Plus de possibilités grâce à l’approche spatiale

L'approche spatiale («Gebietsansatz») autorise davantage de constructions et de changements d'affectation dans les zones non constructibles: les cantons doivent pouvoir, dans des cas spécifiques, déroger aux dispositions exhaustives du droit fédéral sur la construction hors zone à bâtir. Pour ce faire, ils doivent désigner dans leur plan directeur des secteurs dans lesquels certaines utilisations supplémentaires sont autorisées sur la base d'une conception spatiale globale (c'est pourquoi on parle d’une «approche spatiale»). Sur cette base, des «zones non constructibles incluant des utilisations soumises à compensation» peuvent être délimitées ou encore des «zones non constructibles dans lesquelles des utilisations non imposées par leur destination» sont possibles (le législateur utilise les deux termes). Dans les faits, ces zones sont probablement des zones à bâtir. Les utilisations correspondantes doivent y être «assorties des mesures de compensation et d’amélioration requises» et conduire globalement à «une amélioration de la situation générale de la structure du milieu bâti, de la culture du bâti, du paysage, des terres cultivables et de la biodiversité». Les utilisations autorisées dans de telles zones ainsi que le mécanisme de compensation correspondant ne sont pas décrits dans la LAT. La concrétisation a été déléguée au canton.

L'élaboration du plan directeur pour de telles zones est ainsi extrêmement exigeante. Là encore, les attentes liées à ce système sont très élevées. La pression politique sur les services cantonaux de l'aménagement du territoire, qui doivent élaborer le mécanisme, risquent d’être très forte. L'Office fédéral du développement territorial sera également sollicité, car il devra préciser les exigences à remplir pour une inscription au plan directeur et fixer des critères stricts pour l'examen de ces exigences. Rappelons encore que lors des délibérations, il a été répété à maintes reprises que le principe de séparation des zones à bâtir de celles qui ne l’étaient pas ne devait pas être contourné.

Changement d’affectation de granges et d’étable

Dans le cadre de l'approche spatiale, il s’agit de faciliter la réaffectation des étables et des granges qui ne sont plus utilisées à des fins d'habitation. Ce ne sont pas les besoins en logement pour l’agriculture qui sont visés ici, mais bien la création de logements non agricoles (en particulier pour des maisons de vacances). Compte tenu des utilisations plus importantes et plus gênantes auxquelles on peut s'attendre de ce fait, il n'est guère possible de garantir une amélioration globale de la situation. Cette approche va donc elle aussi clairement à l'encontre du principe constitutionnel de séparation et de l'objectif de stabilisation. Des possibilités de changement d'affectation existent déjà pour les bâtiments dignes de protection ou ceux qui sont protégés en tant qu’éléments caractéristiques du paysage, lorsque leur conservation ne peut être obtenue d'une autre manière. Avec cette ouverture, les bâtiments d'exploitation inutilisés pourraient devenir des objets de spéculation plutôt que des objets de démolition potentiels.

Compensation de la plus-value

Le Parlement a en outre adopté une proposition individuelle sans rapport avec le contenu de la révision du conseiller aux Etats du centre saint-gallois Benedikt Würth. Cette proposition vise à renverser la pratique du Tribunal fédéral, qui a tracé une ligne claire ces dernières années: les cantons et les communes doivent veiller à ce que les plus-values importantes résultant de changements d'affectation et d’augmentation des possibilités de construire soient compensées de manière appropriée (voir l'article Sous la loupe du 30.6.2022). Désormais, le droit fédéral n'obligera les cantons qu'à appliquer la réglementation minimale (20 % en cas de nouvelles mises en zone à bâtir). La compensation des plus-values en cas de changement de zone ou d’augmentation des possibilités de construire est régie par le droit cantonal. Comme le montre la vue d'ensemble d'EspaceSuisse sur la mise en œuvre dans les cantons, les communes ont aujourd'hui – dans la plupart des cantons – la possibilité d’aller au-delà de la réglementation minimale et de compenser les plus-values également lors de changements d’affectation et d’augmentation des possibilités de construire. Il faut espérer que cela reste ainsi.

Mais si les communes devaient (par choix ou par contrainte) renoncer de manière générale à la compensation des plus-values en cas de changement d'affectation ou d’augmentation des possibilités de construire, cela entraverait un développement vers l’intérieur de qualité, au lieu de l’encourager. La population sera nettement moins disposée à soutenir des projets de densification si l'argent manque pour, parallèlement, améliorer la qualité de vie. Les projets de densification qui ne prévoient pas de mesures de valorisation de l’habitat et des espaces environnants auront du plomb dans l’aile, comme on le constate parfois aujourd’hui déjà.

Cette disposition est d'autant plus surprenante que le Conseil des États a simultanément élargi le catalogue des attributions de la manne financière issue de la compensation de la plus-value: comme on l’a vu, c’est sur les recettes issues de la plus-value que l’on va prélever la prime de démolition des bâtiments devenus inutiles hors zone, alors que ces recettes sont déjà censées financer notamment un développement vers l’intérieur de qualité. Non content d’allonger la liste des mesures qui doivent être financées par les recettes de la plus-value, le parlement rend le prélèvement de celle-ci plus difficile.

Appréciation finale

La première révision partielle de la LAT (LAT 1) est entrée en vigueur il y a presque dix ans. Le oui de l'électorat de l'époque était clair et le mandat donné à l'aménagement du territoire était limpide: éviter le mitage et protéger le paysage. Un changement de paradigme! Un développement vers l’intérieur de qualité est le mot d'ordre du moment. Le bilan de cette révision est en grande partie positif. Le mitage a été stoppé. De nombreux bons exemples montrent que la mise en œuvre est sur la bonne voie. Avec la deuxième étape de la révision, nous risquons de sacrifier cet acquis, car la LAT 2 viole le mandat populaire de la LAT 1 – à savoir freiner le mitage et protéger le paysage. La question de savoir si cette révision correspond à la volonté de l'électorat suisse reste sans réponse.

Au fil des ans, une multitude de dispositions d'exception n'ont cessé de grignoter le principe constitutionnel de séparation des zones à bâtir de celles qui ne le sont pas. La LAT 2 poursuit sur cette voie. Les nouvelles exceptions vident de sa substance l'objectif de stabilisation et affaiblissent encore le principe de séparation. Même si la situation politique générale actuelle n’a apparemment pas permis de trouver une meilleure solution, on peut regretter que les politiques n'accordent pas plus de poids à la protection de la nature et du paysage face aux défis actuels tels que le changement climatique et la crise de la biodiversité.

De nombreuses dispositions nécessitent encore une clarification ou une interprétation plus poussée, malgré (ou justement à cause de) la discussion au Parlement. De gros efforts doivent maintenant être fournis pour l'élaboration des dispositions de l’ordonnance et des contenus des plans directeurs ainsi que, plus tard, pour la mise en œuvre des dispositions. Ce sont surtout les cantons qui sont sollicités. Ils doivent, comme tous les autres acteurs de l'aménagement du territoire, mettre à disposition les ressources financières mais aussi humaines nécessaires à cet effet. Sinon, les dispositions en grande partie floues risquent de conduire à des déficits d'application considérables qui occuperont les avocats et les tribunaux pendant des années et discréditeront l'aménagement du territoire. Et les organisations environnementales n'auront pas d'autre choix que de contester une mise en œuvre lacunaire dans des cas concrets.

Exceptions à l'objectif de stabilisation

Ne sont pas concernés par l'objectif de stabilisation (art. 1 al. 2 let. bquater):

- l'imperméabilisation des sols nécessaire à l'agriculture;

- l'imperméabilisation des sols nécessaire à la pratique d'activités touristiques;

- l'imperméabilisation des sols dans les zones agricoles exploitées temporaire.

Ne sont pas pris en compte dans l'évaluation de la réalisation des objectifs (art. 8d al. 2)*:

- les bâtiments protégés;

- les bâtiments qui ont été affectés à une zone à bâtir après le 29 septembre 2023;

- les imperméabilisations du sol dues à des installations énergétiques;

- les imperméabilisations du sol dues à des installations de transport cantonales ou nationales.

*De ce fait, ces constructions et installations, ou l'imperméabilisation du sol correspondante, sont également exclues de fait de l'objectif de stabilisation dans la plupart des cantons.

Informations supplémentaires

Les articles suivants relatif à la deuxième étape de la révision de la loi fédérale sur l'aménagement du territoire (LAT 2) ont déjà été publiés:

Vous trouverez la prise de position d'EspaceSuisse sur le projet initial de la LAT 2 de la CEATE-E ici, ainsi qu’un dossier sur la LAT 2.

Article sur le principe de séparation:
MARKSTEIN SCHMIDIGER KARINE, Une fois illicites – toujours illicites, in: EspaceSuisse, Inforum 3/2021, p. 8–13.

AEMISEGGER HEINZ/MOOR PIERRE/RUCH ALEXANDER/TSCHANNEN PIERRE (Editeurs): Commentaire pratique LAT: Construire hors de la zone à bâtir, Zurich/Bâle/Genève 2017.

Vous pouvez télécharger gratuitement le dossier suivant:

JUD BARBARA/MARKSTEIN SCHMIDIGER KARINE, Constructions hors de la zone à bâtir, De A à Z, in: EspaceSuisse, Territoire & Environnement 3/2020.

Un dossier sur la construction hors zone à bâtir ainsi qu'une série de courts-métrages produits par EspaceSuisse en collaboration avec sa section romande et quatre cantons sont disponibles ici.

«Les avantages majeurs doivent être compensés», article «Sous la loupe» du 30.6.2022:

Aperçu des réglementations cantonales relatives à la compensation de la plus-value.

densipedia.ch – La plateforme pour le développement vers l’intérieur et de la densification

Bon à savoir

EspaceSuisse a l'intention de publier un manuel en complément au commentaire pratique existant sur la LAT. Plus d’informations à venir.

Cet article sera également publié dans le magazine Inforaum 4/2023 de mi-décembre.

14 juin 2024: date du congrès EspaceSuisse

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