La LAT 2 franchit une nouvelle étape

Damian Jerjen, directeur EspaceSuisse, et Samuel Kissling, responsable droit EspaceSuisse
Lundi, 22.05.2023
La commission compétente du Conseil national (CEATE-N) s’est prononcée en défaveur de nouvelles exceptions en matière de construction hors de la zone à bâtir et est revenue sur certaines propositions du Conseil des États. EspaceSuisse salue ces améliorations mais estime que le principe de séparation entre les parties constructibles et non constructibles du territoire reste menacé. Au sein de la CEATE-N, de nombreuses décisions n’ont rallié qu’une faible majorité, et certaines minorités souhaitent introduire d’autres assouplissements. EspaceSuisse prend ici brièvement position sur certains aspects de la révision en vue des prochaines délibérations au Conseil national.
Photo: Monika Zumbrunn, EspaceSuisse

Après avoir recommandé, voici trois ans, de ne pas entrer en matière sur l’objet en question (18.077), la Commission de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de l’énergie du Conseil national (CEATE-N) a remis l’ouvrage sur le métier. Elle a ainsi consacré plusieurs séances au projet de la commission sœur du Conseil des États (CEATE-E). Ce dernier a adopté, en juin 2022, un texte qui n’est pas acceptable du point de vue de l’aménagement du territoire (voir l’article «Sous la loupe» du 28.6.2022). La CEATE-N a désormais corrigé certains des points qui allaient dans la mauvaise direction.

Objectif de stabilisation: une mise en œuvre impérative

Ainsi la commission préconise-t-elle de stabiliser aussi bien le nombre de bâtiments que l’étendue des surfaces imperméabilisées hors de la zone à bâtir. Le Parlement devra en tenir compte lors des prochaines délibérations.

EspaceSuisse se réjouit que l’objectif de stabiliser la situation par le truchement des plans directeurs cantonaux et d’un concept cantonal global soit maintenu. Un délai transitoire de cinq ans, assorti d’éventuelles sanctions, aidera également à y parvenir.

Le catalogue actuel des exceptions prévues reste toutefois trop étendu. Pourront bénéficier de dérogations les surfaces rendues imperméables:

  • qui sont situées dans des zones agricoles exploitées seulement pendant une partie de l’année (zones d’estivage);
  • qui sont liées à l’agriculture;
  • qui sont nécessaires à l’exercice d’activités touristiques;
  • qui sont liées à des installations de production d’énergie;
  • qui sont liées à des infrastructures de transport cantonales ou nationales.

Des exceptions sont également prévues:

  • pour les bâtiments protégés;
  • pour les bâtiments qui ont été, dans l’intervalle, attribués à une zone à bâtir.

Avec un catalogue d’exceptions aussi vaste, le Conseil des États a torpillé l’objectif qu’il avait lui-même formulé de stabiliser non seulement le nombre des bâtiments existants, mais aussi les surfaces imperméabilisées.

Une prime à la démolition peu motivante

En vue d’atteindre ledit objectif, il a été proposé d’encourager financièrement la démolition des constructions et installations désormais inutilisées. Or, cette incitation n’aura que peu d’effets si seuls les coûts de démolition sont remboursés – d’autant plus qu’il est prévu d’étendre les possibilités de réaffecter les constructions existantes hors de la zone à bâtir. On ne saurait en revanche trop appuyer la proposition de la CEATE-N de n’octroyer de prime à la démolition que si les constructions et installations concernées ont été érigées légalement, et si aucune construction de remplacement n’est réalisée. Une (forte) minorité souhaite toutefois maintenir la proposition du Conseil des États de financer également, par le biais d’une telle prime, la démolition de bâtiments jusque-là utilisés à des fins agricoles ou touristiques même s’ils sont destinés à être remplacés par de nouvelles constructions.

Planification et compensation dans les régions de montagne

L’approche dite territoriale devait permettre aux cantons de déroger, dans des cas spécifiques, aux dispositions exhaustives du droit fédéral en matière de construction hors de la zone à bâtir. Ici encore, la CEATE-N a rectifié le tir en reprenant une proposition de la commission du Conseil des États, voulant que cette approche ne soit applicable que dans les régions de montagne. La commission souhaite en outre que le plan directeur cantonal précise déjà de quelle manière il sera, dans ce contexte, tenu compte de la structure de l’urbanisation, du patrimoine bâti, des aménagements extérieurs, de l’intégration dans le paysage, de la préservation de la biodiversité et du maintien des terres cultivables. Cette modification doit être saluée, même si une minorité souhaite la supprimer.

La CEATE-N a, elle, biffé à juste titre une proposition de minorité acceptée par le Conseil des États, qui visait à permettre aux cantons de délimiter des zones spéciales dans lesquelles ils puissent autoriser la réaffectation, à des fins d’habitation, des constructions agricoles désormais inutilisées – ce qui contreviendrait clairement, une fois de plus, au principe constitutionnel de séparation entre les parties constructibles et non constructibles du territoire.

EspaceSuisse approuve ces adaptations, mais n’en continue pas moins de plaider pour que l’approche territoriale et les zones spéciales correspondantes ne soient appliquées que dans des cas exceptionnels, et que pour des projets d’intérêt public. Elles ne devront en outre donner lieu ni à des constructions et installation trop vastes, ni à des nuisances excessives.

Des logements supplémentaires dans les maisons rurales

La CEATE-N a introduit une nouvelle disposition qui devrait susciter des débats, puisqu’elle permettrait de réaffecter, à des fins d’habitation, l’intégralité des bâtiments d’habitation érigés selon l’ancien droit hors de la zone à bâtir – y compris les bâtiments d’exploitation qui leur sont contigus. D’importants volumes bâtis seraient ainsi susceptibles de changer d’affectation et d’abriter des logements supplémentaires – ce qui aurait bien sûr un impact sur les espaces extérieurs (places de parc supplémentaires, etc.).

On notera qu’il ne s’agit plus ici de répondre aux besoins des agriculteurs en matière d’habitat, mais d’investir dans des bâtiments d’habitation à plusieurs logements hors de la zone à bâtir – avec les conséquences néfastes que cela entraîne pour le paysage, le patrimoine et, à long terme, l’agriculture productrice elle-même. EspaceSuisse y voit une violation évidente du principe de séparation entre les parties constructibles et non constructibles du territoire. Aussi une minorité milite-t-elle pour que cette possibilité soit supprimée.

Autres dispositions

La CEATE-N s’oppose en revanche à ce que les constructions et installations nécessaires à d’autres activités soient reconnues conformes à l’affectation de la zone agricole. Différentes minorités souhaitent en effet rendre admissibles certaines activités proches de l’agriculture ou étendre les possibilités relatives à l’habitat à des fins agricoles.

La balle reste dans le camp du Conseil national

La Chambre basse se penchera sur la LAT 2 lors de la prochaine session d’été. Cette nouvelle étape de révision doit, elle aussi, servir de contre-projet à l’Initiative paysage. Parmi les adaptations proposées par la commission du Conseil national, beaucoup renforcent le principe constitutionnel de séparation entre les parties constructibles et non constructibles du territoire et devraient ainsi répondre aux préoccupations des initiants. Toutefois, la réaffectation intégrale et sans restriction des bâtiments d’habitation érigés selon l’ancien droit se révèle particulièrement problématique du point de vue de l’aménagement du territoire. En outre, nombre de ces améliorations n’ont rallié que de courtes majorités au sein de la CEATE-N. Par ailleurs, le principe de séparation entre zones à bâtir et zones de non-bâtir est menacé par plusieurs propositions minoritaires visant à assouplir certains critères.

Il appartient dès lors au Conseil national d’examiner le projet avec circonspection. Si la Chambre du peuple suit les propositions de sa commission sans coupes majeures et qu’elle les corrige sur les points problématiques, la LAT 2 ira dans la bonne direction.

Compensation de la plus-value et prime à la démolition

Il est prévu que la prime à la démolition soit principalement financée par la compensation de la plus-value), laquelle est déjà destinée à financer un développement de qualité vers l’intérieur du milieu bâti («l’huile dans les rouages de la densification»), tel que le promeut la dernière révision de la loi sur l’aménagement du territoire (LAT 1). Or, les recettes issues de la compensation de la plus-value ne se révéleront sans doute suffisantes que dans de rares cantons.

Dans ces circonstances, on comprend mal que le Conseil des États ait accepté une proposition voulant – à première vue sans rapport avec le sujet – que les cantons se bornent désormais à mettre en œuvre les dispositions minimales en matière de compensation de la plus-value (20 % en cas de classement en zone à bâtir; art. 5 al. 1bis LAT).

La CEATE-N propose maintenant une adaptation qui devrait tenir compte des objectifs de la LAT 1 et permettre de générer les moyens nécessaires pour un développement de qualité vers l’intérieur. Il s’agit de préciser, dans un nouvel alinéa, que les cantons sont habilités, en vertu du droit fédéral, à prévoir – si le droit cantonal ne le fait pas déjà – une compensation adéquate des plus-values importantes résultant des changements d’affectation ou de l’augmentation des possibilités de construire. Les solutions contractuelles devront être possibles également.

Informations complémentaires

EspaceSuisse a déjà consacré les articles suivants à la deuxième étape de révision de la LAT:

Vous trouverez ici la prise de position d’EspaceSuisse sur le projet de LAT 2 initialement mis en consultation, et ici un dossier relatif à la LAT 2.